La faute inexcusable de l’employeur : tendance jurisprudentielle actuelle

Céline DUBAILCéline DUBAIL
Avocat à la Cour
Intervenante EFE à la formation « La faute inexcusable de l’employeur » des 9-10 avril 2014 à Paris

1- Lorsque l’accident du travail ou une maladie professionnelle est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit peuvent solliciter auprès du Tribunal des affaires de la sécurité sociale, une indemnisation complémentaire. Depuis les arrêts de la Cour de cassation du 28 février 2002, la définition de la faute inexcusable a profondément évolué. La faute inexcusable de l’employeur est caractérisée dès lors que l’employeur «  avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pris aucune mesure nécessaire pour l’en préserver ».

 2- Ces dernières années, le régime de la  faute inexcusable a connu de  profondes modifications faisant notamment émerger de nouveaux préjudices indemnisables.

Avant la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 (Cons. Const. 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, L)., et de l’arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 2011, le salarié ne pouvait être indemnisé au titre de la faute inexcusable de l’employeur que des préjudices limitativement énumérés dans le Livre IV du Code de la sécurité sociale. La victime de la faute inexcusable de l’employeur ne pouvait donc demander l’indemnisation de l’ensemble des préjudices de droit commun. Désormais, ce n’est plus le cas.

C’est ainsi que dorénavant, les salariés peuvent solliciter des indemnités au titre : des frais de logement et d’un véhicule adapté (Cass. 2e civ, 30 janvier 2011, n° 10-19.475), du préjudice sexuel  (distinct du préjudice d’agrément) (Cass. 2e civ. 4 avril 2012 n° 11-14.311 ; 11-14.594 et Cass.2e civ. 28 juin 2012), du déficit fonctionnel temporaire (Cass. 2e civ. 4 avril 2012 n° 11-14.311 ; 11-14.594). Le juge effectue une analyse minutieuse de chaque préjudice de droit commun en excluant l’indemnisation de celui qui se cumulerait avec les préjudices déjà couverts par le Code de la sécurité sociale. Ne peuvent ainsi donner lieu à une indemnisation complémentaire : les frais de santé, la perte de gain, l’incidence professionnelle et plus généralement le déficit fonctionnel permanent (Cass. 2e civ. , 4 avril 2002, n° 1-15.393).

La tendance actuelle des décisions judiciaires tend à modifier encore en profondeur le paysage des préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable puisque la Cour ne se contente plus seulement de vérifier l’absence de cumul mais donne également de nouvelles définitions aux préjudices du Code de la sécurité sociale ( Cass. 2e civ. , 28 février 2013, n°11-21.015, plusieurs arrêts de Cass. 2e. civ., 19 décembre 2013). C’est ainsi pour :

          le préjudice d’agrément, en continuant à le vider de sa substance et en y excluant désormais le préjudice lié aux troubles dans les conditions d’existence,

          la souffrance physique et morale, en y excluant dorénavant les souffrances post consolidation

          le recours à une tierce personne, en y excluant sa prise en charge post consolidation

          le préjudice d’anxiété  en y intégrant les troubles psychologiques liés au bouleversement dans les conditions d’existence (7 arrêts, Cass. 2e. civ. 25 septembre 2013)

3- À cette croissance des préjudices indemnisables, s’ajoute une décroissance des moyens de défense dont dispose l’employeur depuis la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale applicable dès 2013. Il convient à ce stade de rappeler qu’en cas de condamnation de l’employeur à une faute inexcusable, la sécurité sociale avance les indemnités complémentaires qui seront in fine supportées par l’employeur et son assureur. Avant 2013, si la sécurité sociale n’instruisait pas correctement le dossier préalable en ne respectant pas notamment le principe du contradictoire, l’employeur pouvait être exempté de régler les indemnités complémentaires. Désormais, ce dernier ne peut plus se prévaloir de ce moyen de défense.  L’impact financier sera lourd pour l’employeur et son assureur.

4- Par ailleurs, le champ d’application de la faute inexcusable inclus désormais la survenance des risques psychosociaux. La souffrance psychologique du salarié à la suite d’une surcharge de travail, d’un recours systématique aux heures supplémentaires et/ou à de nombreux déplacements, d’un changement de management, d’un stress au travail, d’un harcèlement moral donne lieu à des condamnations en faute inexcusable de l’employeur (Cass. 2e civ., 8 novembre 2012, n°11-23.855). L’employeur doit ainsi se maintenir informé et prévoir des plans de prévention, pour éviter la survenance des dommages et, le cas échéant, pour optimiser ses moyens de défense.

 

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