Quelles sont les dernières avancées en matière de lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme ?

Christophe_Jacomin (HD)

Christophe Jacomin
Avocat Associé
LEFEVRE PELLETIER & ASSOCIES

Nul ne saurait ignorer les préoccupations actuelles en matière de lutte contre blanchiment et le financement du terrorisme.

Parmi les mesures envisagées sur le plan européen, le Parlement et le Conseil ont adopté la « 4ème Directive Blanchiment » le 20 mai 2015 (I).

Concernant les mesures prises au plan national, le 18 mars 2015, le Ministre des Finances, Michel Sapin a annoncé un Plan d’action pour lutter contre le financement du terrorisme (II). Par la suite, le 22 juin 2015, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a adopté l’instruction n°2015-I-14 relative aux informations sur le dispositif de prévention du blanchiment de capitaux et du financement des activités terroristes (III).

I. L’adoption de la « 4ème Directive Blanchiment »

La Directive 2015/849/UE du Parlement et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme a été adoptée le 20 mai 2015, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, ainsi que la Directive 2006/70/CE de la Commission (ci-après la « Directive »).

Cette nouvelle Directive, dite aussi « 4ème Directive Blanchiment » envisage des règles plus strictes afin de lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Il s’agissait de renforcer et d’adapter les règles existantes, dans un contexte international préoccupé par la montée du terrorisme et la délinquance financière. Il convenait en outre d’assurer une cohérence avec l’approche suivie au niveau international et de mettre en œuvre les recommandations du Groupe d’Action Financière (GAFI).

Mais aussi, et surtout, il importait de prendre en compte l’évolution des technologies permettant aux criminels de disposer d’outils toujours plus sophistiqués afin de blanchir de l’argent, en toute discrétion et toute impunité.

Dès lors, quels sont les apports de la nouvelle Directive en matière de lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme ?

1. Un élargissement de son champ d’application

Le champ d’application du dispositif comprend désormais les auditeurs et les prestataires de services de jeux d’argent et de hasard sont expressément visés. Puis, les agents de location sont cette fois clairement mentionnés dans la 4ème Directive, et sont assujettis au même titre que les agents immobiliers.

Le seuil à compter duquel les négociants de biens entrent dans le champ d’application du dispositif est abaissé à 7500€ (15 000€ pour la Directive précédente), et ce, indépendamment du fait que la transaction soit exécutée en une fois ou sous la forme d’opération fractionnées qui semblent être liées.

2. Une approche fondée sur les risques

Parmi les nouveautés majeures de la 4ème Directive, il importe de citer l’approche fondée sur les risques, envisagée de manière globale. « Elle suppose le recours à la prise de décisions fondées sur des preuves, de façon à cibler de façon plus effective les risques de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme menaçant l’Union et les acteurs qui opèrent en son sein » (Directive 2015/849/UE, considérant 22).

Dorénavant, les Etats membres sont tenus d’identifier et atténuer les risques auxquels ils sont confrontés et les entités soumises à la Directive doivent documenter et tenir à jour les évaluations des risques auxquelles elles procèdent.

3. Une identification du bénéficiaire effectif

Si la définition du bénéficiaire effectif reste intacte, la nouvelle Directive prévoit des mesures afin d’accroître la clarté et l’accessibilité des informations relatives au bénéficiaire réel. Ainsi, les personnes morales sont tenues de détenir des informations sur leurs propres bénéficiaires effectifs.

Précisément, l’article 30 de la nouvelle Directive prévoit que les sociétés et autres entités juridiques aient l’obligation d’obtenir et conserver des informations adéquates, exactes et actuelles sur leurs bénéficiaires effectifs, y compris des précisions sur les intérêts effectifs détenus.

4. Une redéfinition des personnes politiquement exposées

Toujours parmi les nouveautés majeures de la Directive, il convient de mentionner son renforcement de manière à inclure dans la catégorie des personnes politiquement exposées celles à qui sont confiées des fonctions publiques notables au niveau nationales, ainsi que les personnes travaillant pour des organisations internationales.

Par ailleurs, des exigences spécifiques visant à déterminer si le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie est une personne politiquement exposée, ont été introduites dans la Directive.

5. Un renforcement considérable des sanctions administratives

En lui consacrant ses articles 58 à 62, la nouvelle Directive renforce sensiblement les dispositions relatives aux sanctions administratives.

Elle prévoit ainsi tout un ensemble de sanctions, devant exister dans chacun des États membres en cas de violation systématique des exigences fondamentales de ladite Directive relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

6. Des obligations simplifiées et renforcées de vigilance à l’égard de la clientèle

La précédente Directive autorisait une exemption de toute obligation de vigilance pour certaines catégories de clients ou transactions.

Désormais, les décisions déterminant dans quels cas appliquer des mesures simplifiées de vigilance à l’égard de la clientèle doivent être justifiées sur la base du risque, et ce dans le respect d’exigences minimales quant aux facteurs à prendre en considération.

7. Une coopération entre les cellules de renseignement financier facilitée par la Commission

La nouvelle Directive étend et renforce la coopération entre les cellules de renseignement financier (CRF) des Etats membres concernant l’échange d’information.

Afin de faciliter ces échanges, l’article 51 prévoit que la Commission puisse convoquer régulièrement des réunions de la plate-forme des cellules de renseignement, composée de représentants des cellules des Etats membres.

L’article suivant prévoit en outre que les États membres veilleront à ce que les cellules de renseignement financier coopèrent « dans la plus grande mesure possible, quel que soit leur statut ».

L’article 53 organise de manière inédite l’échange d’information. Dorénavant une cellule de renseignement financier ne pourra refuser d’échanger des informations, uniquement à titre exceptionnel, lorsque l’échange peut s’avérer contraire aux principes fondamentaux de son droit national.

8. Autres éléments notables

En guise de conclusion sur la nouvelle Directive, il conviendra de souligner que ne contenant plus de dispositions en matière d’équivalence positive, l’application d’exemptions sur la base de critères purement géographiques est abandonnée.

Les autorités européennes de surveillance (AES) sont chargées de produire des normes techniques de réglementation sur les points sur lesquels les établissements financiers devront adapter leurs contrôles internes afin de faire face à certaines situations spécifiques.

La 4ème Directive a été publiée au Journal Officiel de l’Union Européenne le 5 juin 2015, ne permettant pas de se prononcer sur son efficacité de manière immédiate. Il est néanmoins envisageable de souligner son adéquation avec les préoccupations et objectifs actuels des Etats membres.

II. Les mesures annoncées par le Ministre Michel Sapin, le 18 mars 2015

Michel Sapin, le Ministre des Finances a annoncé le 18 mars dernier, une série de huit mesures visant à renforcer le cadre réglementaire relatif à la lutte contre le blanchiment.(1)

Le 24 février 2015, ce dernier avait d’ailleurs fait état de la lutte internationale contre le financement du terrorisme, « un rempart fondamental de la paix et de la sécurité dans le monde » .

Les différentes mesures préconisées s’articulent autour de trois objectifs clairement affichés par le Ministre, à savoir : Identifier, Surveiller et Agir.

1. Des mesures visant à restreindre l’anonymat des transactions en espèces

Faisant état du trop grand nombre de paiement pouvant s’effectuer en espèce sans laisser de trace, le Décret n°2015-741 en date du 24 juin 2015 a été pris en ce sens. Il prévoit ainsi un abaissement du plafond des paiements en espèces, avec une entrée en vigueur au 1er septembre 2015 (Mesure n°1).

Aux termes du nouvel article L.112-6 du Code monétaire et financier relatif à l’interdiction du paiement en espèces, le plafond de paiement en espèce est abaissé comme suit :
– de 3000 à 1000 euros pour les personnes physiques ou morales résidentes en France (ne s’applique pas aux paiements effectués entre particuliers) ;
– de 15000 à 10000 euros pour les non-résidents.

Il importera ensuite de renforcer le « reporting » TRACFIN. Les opérations de dépôts et de retraits d’espèces supérieurs à dix mille euros (10.000 euros), cumulés sur un mois, feront désormais l’objet d’un signalement systématique des banques à TRACFIN (Mesure n°2).

Puis, le contrôle des transferts physiques de capitaux aux frontières sera renforcé. En effet, une grande quantité de capitaux transitent via le fret, et notamment via le fret aérien, sans que ces mouvements ne soient, à ce jour, soumis à l’obligation déclarative en douane. Cette obligation ne pesait que sur les capitaux transportés par les personnes physiques au delà de dix mille euros (10.000 euros).

À compter du 1er janvier 2016, le code monétaire et financier sera modifié de sorte qu’il prévoira ces contrôles au sein de l’Union européenne, et leur appliquera ainsi le même régime de sanctions que pour les personnes physiques (Mesure n°3).

Par ailleurs, les mesures annoncées par Monsieur le Ministre prévoient de faire reculer l’anonymat des cartes prépayées. Certaines opérations financières réalisées à l’aide de carte prépayées, présentent un risque élevé de blanchiment ou de financement terroriste, dans le sens où ces opérations échappent bien souvent aux prises d’identité.

La 4ème Directive anti-blanchiment prévoit d’abaisser le seuil des opérations entraînant les prises d’identité à deux cent cinquante euros (250 euros) pour l’acquisition de cartes non rechargeables et à cent euros (100 euros) pour les remboursements en espèce (Mesure n°4).

Enfin, il s’agira de donner un rôle central au Fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Dès le 1er janvier 2016, les comptes de paiement, pour exemple les comptes « Nickel », seront inscrits au fichier FICOBA (Mesure n°5).

Les mesures envisagées par le Ministre se regroupent ensuite autour de l’idée de surveillance, permettant de renforcer la vigilance des acteurs.

2. Des mesures visant à renforcer la surveillance des transactions en espèces

Parmi les mesures annoncées, figure la nécessité d’imposer une prise d’identité pour toute opération de change manuel supérieure à mil euros (1000 euros). Cette obligation sera effective à compter du 1er janvier 2016 (Mesure n°6).

Il conviendra ensuite de systématiser les mesures de vigilance renforcée pour toute opération impliquant des montants inhabituellement élevés. Afin de rendre ces vigilances effectives et systématiques, il sera nécessaire de préciser la notion de « montant inhabituellement élevé » (Mesure n°7).

La dernière mesure annoncée par Michel Sapin, le 18 mars 2015, concerne le gel des biens immobiliers et mobiliers.

3. Des mesures visant à geler les biens immobiliers et mobiliers

L’ultime mesure envisagée porte sur le renforcement des capacités de gel des avoirs détenus par les acteurs du terrorisme (Mesure n°8). Il est prévu d’étendre ces mesures de gel aux ventes de biens immobiliers et mobiliers.

III. L’adoption de l’instruction n°2015-I-14 par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

Le collège plénier de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a adopté, le 22 juin dernier, l’instruction n°2015-I-14. Cette instruction modifie l’instruction n°2012-I-04 définissant les questionnaires communs aux organismes des secteurs de la banque et de l’assurance vie en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Il s’agissait de s’adapter à la transposition de la Directive n°2013/36/UE dite aussi « CRD IV » concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentiel de ces établissements ainsi que des entreprises d’investissement.

L’Autorité de contrôle a souhaité prendre en compte la terminologie issue de la transposition de « CRD IV ». Aussi, à titre d’exemple, la question traitant de l’obligation de porter à la connaissance des dirigeants, les anomalies significatives détectées par le dispositif de suivi et d’analyse en matière de lutte contre le blanchiment fait maintenant référence aux « dirigeants effectifs » et « organes de surveillance ».

Par ailleurs, le questionnaire a été complété pour ce qui à trait aux dispositifs de détection de fonds, instruments financiers ou ressources économiques appartenant aux personnes ou entités faisant l’objet de gel ainsi que les obligations de communication systématiques d’information à TRACFIN.

Il importe de préciser en outre, que le guide méthodologique annexé à l’instruction de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a lui-même été revu afin de tenir compte de ces dernières modifications.
(1) Michel Sapin, devant les représentants du GAFI (Groupe d’Action Financière) le 24 février 2015.

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